Technologies et transformations sociales

“Sonorités” N. 6,
Champ Social Éditions, Paris September 2011.
Traduit par Massimiliano Cargnoni

1.Technologies acoustiques et de l’image
Pour parler des technologies et de leur impact sur le changement social il faut d’abord distinguer les technologies de communication utilisées quotidiennement des autres plus sophistiquées liées à la science.
En effet, les nouvelles techniques de chirurgie au laser ne modifient pas les relations entre les personnes autant que les télécommunications mobiles et les médias.
Les technologies, qui informent et relient les personnes, sont celles qui gravent davantage sur les attitudes et les modes de vie.
Ces technologies, à leur tour, sont représentées par des appareils utilisés par la personne (ordinateurs portables, transistors, etc.) et les systèmes centralisés de son: les effets des haut-parleurs et des projecteurs placés dans des lieux publics agissent sur les sens de la communauté, et les gens s’habituent à recevoir certains stimuli au lieu d’autres.
Toutefois, le son reproduit , par rapport à l’image réfléchie, a la capacité d’être reçu dans l’espace: il est donc possible d’éviter d’^etre éblouis par une enseigne lumineuse en se déplaçant un peu, et non de ne pas écouter une bande sonore répandue par des haut-parleurs populaires.
On affirme que nous vivons dans une société de l’image en ignorant le son reproduit, qui place le destinataire toujours au centre de l’expérience perceptive et qui est le véritable protagoniste du paysage des sens.
La radio envahit plus que la télévision parce qu’il n’y a pas l’image qui vole l’attention à l’écoute.
Le son se fait entendre partout et est toujours opérationnel.
L’image se distingue par ses couleurs et ses impulsions lumineuses, mais le son reproduit transforme l’environnement dans sa globalité.
Le son en lui-même n’a pas entraîné de pollution acoustique jusqu’à quand, amplifié, il est devenu bande sonore dans plusieurs endroits publics.
Le son vif reste localisé et il est immédiatement relié à sa source (où vous entendez jouer de la flûte que vous savez qu’il y aura un flûtiste dans les alentours), le son amplifié répandu ne réfléchit pas, il n’est pas absorbé par les murs et les autres obstacles et au lieu de perdre l’intensité pendant l’écoute il continue à se reproduire dans un effet d’assourdissement total dont les sources ne peuvent pas être distinguées.
Maintenant, je vais expliquer en détail les mécanismes qui rendent le son des haut-parleurs responsable d’un nivellement des sens desquels dépendent les comportements généralisés de surdité apparente.

2.Le son reproduit et le son en direct
Le son reproduit, par rapport à celui naturel, a subi une rupture avec sa source d’origine: la voix qui vient de la radio n’est plus la même voix de l’homme qui parle, car elle a été véhiculée par un moyen. La rupture avec sa source d’origine fait reproduire le son avec un timbre différent, le plus souvent pire, en tout cas déformé à cause des nombreux changements survenus à travers la médiation technologique.
La technologie à plus “haute fidélité” ne peut jamais jouer un son identique à celui naturel.
Ce processus de médiation, pour lequel le canadien M. Shafer a inventé le terme «schizofonia”, a permis de répandre beaucoup de culture et d’informations dès la fin de 1800, mais c’est seulement dans les dernières trente ans que la voix enregistrée est devenue, de plus en plus, un ameublement sonore à travers des haut-parleurs: à partir du mégaphone d’un vendeur jusqu’à la radio dans un bar et au dispositif presque invisible qui sonorise les centres commerciaux et plusieurs places de la ville.
J’ai pu, dans le passé, définir ce phénomène acoustique comme une “troisième voix mécanique » qui règne sur les sons naturels comme le pas de l’homme et sur ceux combinés comme le dialogue entre plusieurs personnes, non seulement parce qu’elle est plus forte mais surtout à cause du timbre devenu métallique par son électrification: il faut penser au grincement de la voix sortant du téléphone portable, ou à Skype, ou au son grésillé qui provient d’une vieille radio.
Nous sommes submergés par une voix caricaturale comme celle de l’orateur qui tend les muscles du visage, «sale» c’est-à-dire pleine d’ingérences, car les technologies les plus nombreuses et qui répandent davantage les sons dans l’espace sont de mauvaise qualité: la clarté du son n’est pas la priorité du message adressé à plusieurs personnes occasionnelles.

3. technologies de reproduction sonore individuelle et centralisée
L’utilisation de différentes technologies (PDA, etc Ipod.) dépouille la langue de toutes ses connotations extra-verbales comme le geste, le regard, les pauses, les souffles.
Les deux technologies de diffusion acoustique, celle centralisée et celle à usage individuel, transmettent des informations verbales et musicales qui arrivent directement au cerveau.
Cet aspect de envahissement dans les technologies utilisées individuellement est en partie compensée par l’interactivité qui met le sujet au centre des connexions médias.
L’ haut-parleur aplatit la langue sans offrir ces possibilités, en les limitant soit pour la passivité à laquelle induit le message à sens unique soit parce que l’interaction devient très difficile en présence d’une voix qui domine.
Cet appauvrissement de la communication a commencé lorsque il n’existait pas encore les portables, mais la colonne sonore envahissait déjà les espaces publics.
L’haut-parleur, tel que normal amplificateur acoustique, n’est pas certainement une technologie avancée mais il a réussi à transformer le paysage des sens à travers son utilisation écrasante.
Le son amplifié émané dans l’ambiance ne réfléchit pas, il n’est pas absorbé par les murs et autres obstacles.
Plutôt que perdre d’intensité pendant l’écoute il continue à se reproduire dans un effet d’assourdissement total. A différence du bruit d’un électroménager, l’halo sonore est riche de sens : la musique (même celle qui ne plaît pas) à cause de son fort contenu émotionnel et le parlé (même si ce qui est dit n’intéresse pas) qui s’impose à être capté ou déchiffré.
Grâce à ces composantes la colonne sonore s’est imposée sur les bruits urbains traditionnels des machines et de l’industrie du bâtiment.
Le même déclin culturel, dont souvent on plaint l’évidence, est une conséquence de cet divertissement forcé auquel les gens réagissent par l’apathie, dans de nombreux cas en cherchant de le contraster avec l’étourdissement auto-induit dans les discothèques ou enveloppés dans les casques acoustiques : les technologies individuelles assument largement cette fonction de défense du bas contre le halo sonore dominant.

4. Le nouveau paysage des sens
Actuellement, le bruit urbain est causé par un excès d’information qui grève sur l’attention.
C’est un phénomène qui ne peut pas être mesuré seulement selon la quantité mais qui doit être analysé dans les contenus
Un message publicitaire ou le morceau d’une chanson s’imposent dans les esprits à travers une pensée étrangère et ils s’impriment dans la mémoire selon un impact émotionnel indépendant du décibel.
Paradoxalement ce type de déséquilibre de l’environnement ne représente pas la contrepartie d’un progrès technologique mais plutôt la conséquence d’une utilisation obstinée de technologies « vieilles » et dépassées.
Une des raisons principales pour lesquelles les entrepreneurs et les gérants de magasins et restaurants répandent le sonore est celle de remplir un vide ou de masquer d’autres bruits comme le bavardage excité des clients, ignorants peut-être de contribuer de cette façon à une augmentation du volume vocal moyen : plus il y a du bruit et plus la collectivité s’habitue à parler à haute voix et à trouver des moyens pour se faire comprendre : l’habitude d’applaudir au passage des cercueils aux funérailles a coïncidé avec la période où la colonne sonore s’établit dans les espaces publics.
L’haut-parleur maintient son vieux rôle d’implication et persuasion déjà utilisé sous les régimes du XXème siècle.
Le message unidirectionnel qui recouvre des vastes champs de réception n’est pas très innovateur. C’est plutôt le son qui est innovateur car quoique très répandu, il arrive seulement à quelques-uns, et aussi bien le signal de l’alarme silencieux reçu uniquement par l’individu.
Mais le concept de son visé ne pourra jamais être compatible avec l’information forcée car cette dernière se sert du son reproduit dans toute sa grandeur d’une façon désagréable.
Nous sommes des victimes d’une impasse technologique qui n’a pas l’air de se débloquer car que le concept de son dans la conscience commune continue à se distinguer positivement de celui du bruit
Comme une ville couverte des décombres, le paysage urbain des sens cache son patrimoine de sons et de puissances expressives humaines qui toutes seules seraient suffisantes pour un équilibre naturel de l’espace social potentiellement interactif.
Enlever, profiler, écrémer: cela peut paraître une opération très peu moderne et typiquement réductive mais l’environnement sonore actuel souffre d’un excès de l’inutile qui, non seulement lèse l’organisme mais ne donne pas la possibilité de valoriser les occasions de contact et ouverture que les technologies actuelles peuvent offrir.
En dépit de ce que l’on dit il n’est pas vrai que nous vivons dans l’ère de l’indifférence et de la solitude technologique.
Grace au réseau informatique il est possible de réaliser rapidement des expériences concrètes, à partir du voyage, à la rencontre et à la formation de groupes qui collaborent.
C’est donc dommage que dans le café où vous avez un rendez-vous et vous partagez des intérêts, une banale colonne sonore vous empêche de parler et de vous conduire spontanément.

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