Aspects du paysage actuel des sens à la suite des récentes transformations sonores.

Publié dans L’harmattan- Paris ISBN: 978-2-343-08662-0 •juin 2016, 242 pages EAN PDF : 9782140010897 -Actes du Cogrès Musique et écologies du son. Projets théoriques et pratiques pour une écoute du monde, Université Paris 8, mai 2013.

Silvia Zambrini

Depuis toujours je me suis occupée des nuisances acoustiques en termes de musique et d’informations médiées technologiquement dominant sur les bruits de fond.
L’effet auditif en tant que résultat d’une somme de sons émis à travers une chaîne de reproduction audio peut être un son assez fidèle à l’original dans un espace limité, comme dans son salon chez soi. Il en va autrement dans des espaces qui rassemblent plusieurs personnes et qui ne sont pas spécialement destinés à l’écoute. Là, à cet effet auditif s’ajoute celui des sons émis par l’environnement naturel, qui déforment la reconstruction de l’événement enregistré à l’origine (qu’il s’agisse de musique, d’informations radiophoniques, de sons qui imitent la nature ou autre). Cela se produit parce que l’événement sonore se transforme continuellement à travers les mouvements de l’air, les changements météorologiques, le déplacement d’objets et de personnes dans un milieu qui est toujours en mouvement, surtout si ce même milieu est de grandes dimensions. En outre, la médiation technologique peut reproduire un son mais pas ses temps : elle peut recréer l’effet d’un écho ou d’une dissipation sonore seulement selon une interprétation binaurale du milieu qui n’a rien à voir avec sa réalité originale. L’écoute par le biais de dispositifs acoustiques ayant le but de reproduire des sons naturels (comme l’écoulement d’un ruisseau) implique un effet auditif mécanique, que l’on peut comparer à une chanson répétée à l’infini ou à la séquence rythmique d’un marteau pneumatique : bien qu’il s’agisse de sons qui imitent la nature, l’impact est celui d’un thème qui, quoique dilaté dans le temps, se répète inévitablement.
C’est ce qui arrive avec des mécanismes de reproduction acoustique par le biais de technologies sophistiquées. Il faut, cependant, avoir à l’esprit que les technologies utilisées pour entretenir des personnes dans des lieux partagés sont de mauvaise qualité : c’est d’ailleurs la loi de toutes les technologies de masse : les voitures les plus diffusées en circulation ne sont jamais les « meilleures » technologiquement. Nous sommes entourés par la reproduction de sons incomplets (sans l’échelle temporelle caractérisant le milieu d’origine) et chargés d’interférences à cause de la basse qualité des technologies utilisées : pensons à la qualité du sonore diffusé dans les cafés ou les restaurants.
Au cours des dernières années, cette qualité s’est détériorée encore plus selon un cercle vicieux que je vais à présent vous illustrer : l’individu répond à la diffusion dans le milieu de sons de très basse qualité et aux contenus confus, en s’isolant dans des écouteurs acoustiques et est soumis à une écoute très ambiguë du point de vue de la perception. D’un côté, à travers son isolement, le dispositif auriculaire fournit une intimité d’écoute sans pareils, de l’autre, il véhicule un son complètement altéré par rapport à l’enregistrement de l’événement original : l’annulation du milieu et l’impact intracrânien, plutôt que frontal, de l’évènement sonore imposent une reconstruction spatiale différente de celui-ci.
Les personnes s’habituent au son diffusé à travers leur écoute désormais altérée : même celui qui écoute de l a musique au casque par le biais d’une excellente installation ne réagit pas ensuite à l’écoute de sons diffusés par des technologies de mauvaise qualité : il accepte ce malaise parce qu’il ne le distingue pas. La conséquence est une hausse du niveau de base de l’écoute : l’individu n’entend pas les sons naturels désormais submergés, affaiblis, et il s’habitue à parler plus haut. Les gérants des établissements pensent masquer le vacarme en induisant des colonnes sonores invasives auxquelles l’individu répond en s’isolant avec ses écouteurs, insistant ainsi dans le processus dégénératif de son écoute. Ce cercle vicieux cause l’augmentation sans fin d’un malaise qui touche toute la collectivité.
Dans les deux dernières années, les décès dus aux accidents de la route ont diminué, ce qui est une bonne nouvelle. Cependant, du moins d’après les données en Italie, l’on assiste à une augmentation considérable des accidents causés par distraction au volant et abus de priorité qui,comme je l’ai déjà expliqué dans mes précédents travaux, représentent un indicateur important de distraction causée par les effets réels et précédents d’une surexposition au son médié : nous voyons même en écoutant ; la personne qui se déshabitue à écouter l’environnement ne focalise pas pleinement un signal visuel ou un événement inattendu parce que la surdité dérivant d’une « autre écoute » agit sur tous les sens et empêche leur complémentarité. C’est le cas des jeunes qui traversant les voies, enveloppés dans leurs écouteurs, n’ont pas entendus mais n’ont pas vu non plus le train arriver (ce qui arriverait à une personne affectée de surdité physiologique) parce que ce type de surdité ne peut pas être suppléé par la vue.
Synthétiquement :
Les sons diffusés dans l’environnement par des technologies de mauvaise qualité ou volontairement médiocres, ont causé une modification de l’écoute, surtout par le biais des dispositifs auriculaires qui, indépendamment de la qualité du dispositif, imposent une reconstruction différente de l’événement sonore.
L’éducation au son, à travers une œuvre de sensibilisation, au moment où l’écoute est modifiée, perd sa valeur : c’est comme si l’on demandait à un daltonien de reconnaître les nuances d’une couleur ou, à celui qui a perdu la sensibilité au goût, d’apprécier une saveur particulière.
L’imposition de limites à l’induction de sons amplifiés dans les lieux partagés et à l’utilisation de dispositifs auriculaires dans les situations exigeant une attention à l’environnement, est désormais la seule voie pour préserver l’individu et lui restituer la dimension du son qui réverbère, se répercute et se disperse à travers l’infini du ciel, c’est-à-dire à travers l’écoute compréhensive de ses temps pour laquelle l’individu à été originairement conçu.
Matériel de référence
Textes d’acoustique, de sociologie environnementale, sociologie urbaine, méthodologie de la recherche sociale.
Données sur la sécurité de la route « European Transport Safety Council, PIN report 2012 ».
Consultation avec Eraldo Paccani, ingénieur programme en équipements acoustiques à travers des matériaux intéressants comme le marbre.
Recherche sur le terrain à travers l’écoute directe dans les lieux de la socialité urbaine.